A  cette belle fête de la "Gallésie" à Monterfil ce dimanche 29 juin 2014, Marc CLERIVET a donné son accord pour nous permettre de divulguer "grand public" l'évolution de nos danses gallèses sur des périodes du 19 et 20è siècles. Son ouvrage de référence de 468 pages est édité par "Dastum" et les "Presses Universitaires de Rennes" dans la Collection "Patrimoine Oral de Bretagne". Voici des extraits :

     L'ensemble des répertoires traditionnels dansés recueillis en Haute Bretagne peut être divisé en deux corpus bien distincts :

                                                             les branles et les contredanses        

L'appellation "branles" issue des 16 aux 18è siècles concerne les danses en chaîne ouverte ou fermée avec une répétition uniforme d'un groupement moteur défini et qui, selon les cas, correspond à 3, 4, 6 ou 8 pulsations musicales.La frontière linguistique n'ayant jamais constitué une barrière pour les pratiques culturelles un grand nombre de ces branles était commun aux deux zones linguistiques de Bretagne : "En Dro", la "Pilée menue", "Rond de Penthièvre".Tous les branles gallos recueillis étaient dansés exclusivement en chaîne fermée (et évoluent dans la plupart des cas vers la gauche), hormis le bal et quelques versions de rondes aux trois pas.

     Concernant l'"En Dro" il s'agit d'un rond avec un pas d'une durée de quatre temps musicaux, dansé comme en Vannetais : un changement de pas en deux temps (G-D-G) vers l'avant et un changement de pas de même durée (D-G-D), plus restreint, légèrement à reculons. l'"Hanterdro" présente une formule d'appuis de trois temps. Dans le Morbihan "Endro" et "Hanterdro" étaient connus des mêmes populations et peuvent être mis en parallèle avec le binôme branle simple et branle double qui constituaient le répertoire de début de bal à la Renaissance (suivi du branle gai).

     "Passepied" : ce branle est cité par Mme de Sévigné en 1690 : "il y eut des sonnoux, on dansa tous les passe-pieds, tous les menuets, toutes les courantes de village, tous les jeux des gars du pays." Cité également bal (pays paludier), bal rond(Brière, pays métayer), draw (pays mitaod), demi-rond. Pouvant être dansé isolément ou bien associé à une autre ronde le passepied est une ronde. Les danseurs, disposés face au centre, se donnent la main ou un doigt. Sur la phrase A les danseurs légèrement tournés vers la gauche font tourner la ronde dans le sens des aiguilles d'une montre en petits pas marchés. Sur la phrase B la ronde s'immobilise et tous les danseurs effectuent un pas en léger avancé et réculé. Une suite se retrouve entre Mûr -de-Bretagne et Loudéac : ronde, baleu, ronde, passepied / riqueniée ou erqueniée façon coq bombant le torse, la tête relevée et le dos en arrière.

     Le second type - les "Contredanses"-  sont des "danses à figures". Dansées à l'origine en Angleterre la "contredanse" a été adoptée et adaptée en France à la fin du 17è siècle. Elle a fini par occuper la majeure partie des bals de la noblesse et des milieux dominants. Les formes sont diverses : carré, , cortège de couples, double front de danseurs ou ronde. Contrairement aux répertoires de branles le moteur n'est pas le pas répété mais l'enchaînement de figures avec une sucession de déplacements et de positionnements des danseurs qui se meuvent à l'aide de pas particuliers dont certains présentent parfois des formules d'appuis complexes et des styles d'exécution très évolués.Seules deux régions n'ont jamais connu de répertoire de contredanse. Il s'agit, d'une part, de la région comprise entre Josselin et Ploërmel et, d'autre part, d'une fine bande située à l'ouest de Loudéac entre Crédin et Quintin.

     Des contredanses à permutation de cavalière :

    La "Boulangère" : une ronde portant ce nom a été décrite entre Rennes, Fougères et Vitré avec le chant : "La boulangère a dix écus et le meunier en a bien plus" qui se rapproche du "Rond de St Julien-de-Concelles"(44). Durant la première phrase musicale la ronde tourne vers la gauche en usant d'un pas de quatre (double de la Renaissance). Durant la seconde partie chaque danseur fait passer la cavalière située à sa droite à sa gauche sur quatre mesures. Cette permutation s'effectue deux fois, la première par une simple translation, la femme passant de dos devant l'homme, la seconde par une pastourelle, chaque homme faisant faire à la femme un tour complet sous son bras droit élevé.

     Notons également un répertoire de "danses en couples" issues des bals bourgeois ou publics de la seconde moitié du 19è siècle : Polkas (piquée, piquée double, des bébés, chat, lapin), Scottish (anglaise ou Pas de sept), Mazurka, Valses. Plus surprenant la "Bourrée" est présentée sur une carte comme répertoire traditionnel du bassin de Rennes; les "suites Nantaises" avec la "Badoise" (polka des "bébés" ou "baby-polka"), "Trois coups d'talon", la polka piquée et le "Galop nantais". Enfin citons le "Quadrille des Lanciers" très en vogue jusqu'en 1940 (proche du "Quadrille de Cancale").

     Le Quadrille : le Quadrille serait l'antécédent des différentes contredanses de Haute Bretagne. La première figure était le "pantalon". Elle a donné notre Petit Galop.. la deuxième figure du quadrille ancien était l'"Eté". De là vient notre fameux "Pas d'Eté" avec un avant-deux traversé, suivi d'un second pour revenir en place. Le "balancé et tour des deux mains" qui suivait est devenu "valsé". La troisième figure du Quadrille s'appelait la "poule".La quatrième figure était la "Pastourelle" à partir de 1830 et enfin la "Finale" comprenant un avant-quatre, un avant-deux aller et retour, un balancé tour des deux mains. L'évolution simplifiée en nombre de mesures du "Quadrille" fut qu'en 1823 la Quadrille "se marche". Un témoin raconte : "Rien n'est plus simple que notre danse actuelle. Cet agréable exercice exigeait, il y a une vingtaine d'années, beaucoup d'études et même de perfection." Les enchaînements des Quadrilles de Haute Bretagne peuvent être rattachés à l'un des trois Quadrilles fondamentaux de la fin du 19è siècle : le Quadrille français, le Quadrille américain -dit "croisé" collecté dans le vignoble nantais- et le Quadrille des Lanciers.

     Le "Quadrille des Lanciers" : il était dansé dans tous le bals annuels organisés dans les grandes écoles ou les corps constitués à Rennes ou Nantes jusqu'à l'Occupation de 1940. Contrairement aux deux autres quadrilles sa musique était la même partout, servant également comme air de scottish ou comme support du "pas d'Eté". On l'appelle l'"Air des Bottes" :"Il avait des bottes, l'avait des bottes, bottes, bottes, L'avait des bottes, bottes, l'avait des bottes Bastien".

     Dans le nord de l'Ille-et-Vilaine la danse principale était l'"AVANT-DEUX". Dans l'est de la Haute Bretagne, vaste région entre Ancenis et Châteaubriant, dans le Mené et le bassin rennais on retrouve des figures constitutives du Quadrille français : "Avant-Deux", "Pastourelle" ou "Poule", probable éclatement des quadrilles modernes dansés dans les bals mondains et urbains de la seconde moitié du 19è siècle. Particularité de l'"Avant-Deux" : on retrouve nombre de ces danses différenciées d'une commune à l'autre par la façon de faire d'un seul danseur. Exemple : seul le pas distingue celui de Saint-Herblon et celui des "Touches", ou celui de Bazouges-la-Pérouse et du "Coglais". A Bazouges un film a permis de montrer au moins quatre formules d'appuis types différentes pour huit danseurs.

     Le terme "Avant-Deux" n'est pas spécifique à la danse de tradition populaire en Haute-Bretagne. C'est l'appellation d'une figure élémentaire constitutive d'un grand nombre de contredanses pratiquées par les bourgeois et la noblesse, puis dans les bals des grandes villes à partir de la seconde moitié du 18è siècle. Elle était la composante fondamentale et principale de l'"Eté", contredanse popularisée par Julien vers 1781. Cette contredanse très prisée pendant la période révolutionnaire est venue se positionner comme seconde figure du Quadrille sous le Directoire, le Consulat et l'Empire.Pour le "balancé" de fin de danse il peut s'agir d'un simple marché ou du pas en pivot, le "swing". Le pied droit tombe bien à plat sur tous les temps, tandis que sur les contretemps le pied gauche prend appui rapidement, souvent en demi-semelle, permettant au pied droit d'effectuer la rotation. Parmi les enquêtes de l'"Avant-Deux" entre Rennes et Fougères citons celle réalisée par Simone Petit-Devoise (MORAND) à Gévezé et La Mézière, Marguerite CORVAISIER à Gahard et Georges PAUGAM à Ercé-près-Liffré et Acigné en 1980 au café rue de Calais (Nota : avec la présence d'Antoinette BARON).

       D'autres éléments de jeux complétaient le temps de pratique : l'"Aéroplane" (d'Acigné ou St Péran),"la "Trompeuse" (de Dinan) version dansée avec des pauses, le "Tournez-vous" (version avec des retournements) et le "Bal des Hollandais" (version avec des chassés-croisés). Le "longway" ou dispositif en colonne, qui voit une file de danseurs faire face à une autre, était le dispositif le plus courant de "country dance" de la fin du 17è siècle, dispositif de la contredanse anglaise. Ce dispositif concerne la "Boulangère" en Morbihan gallo. En carré de quatre couples on le retrouve en version Quadrille américain ou pour le "Sacristain".

     Le SACRISTAIN ou "MOULINET" (d'Acigné ou Ercé-près-Liffré : il se pratique dans un dispositif à 4 couples avec des commandes "Moulinet pour les hommes!", "Moulinet pour les femmes!" Puis on devait s'accrocher pour former une aile de moulin en couple.

     Au nord de l'axe Vitré/Josselin la majorité des contredanses ont une durée de vingt-quatre mesures. Au sud elles peuvent aller de vingt-quatre à trente-deux mesures. Les Contredanses en Haute-Bretagne étaient "commandées par le musicien", animateur organisant l'espace, les alignements, le silence. Cela consistait également à annoncer les figures et les déplacements.

         Dans l'ouest des Côtes-d'Armor gallèses deux branles principaux dominent : le "rond" (ou la "ronde") et le "bal". Ces deux danses étaient le support d'éléments de jeux (retournements, pauses, accroupissements, élévation de bras).

     Dans le pays de Châteaubriant on retrouve l'"Avant-Deux" mais aussi la "Pastourelle" (ou "avant-trois" avec un homme entouré de deux femmes sur une partie de la danse), la "Poule" et une chaîne des dames.

     Dans le Morbihan gallo l'adoption de nouveaux répertoires ont été synthétisés localement comme la "Ridée" et une variante la "guédillée". La ridée à six temps proviendrait du sud du Morbihan et aurait eu l'"Hanterdro" comme origine. Les formes de ridées à huit temps auraient vu le jour autour de Pontivy. Ces danses ont été adoptées dans tout le Morbihan entre 1860 et 1880 et donnaient une prépondérance des mouvements de bras. Les danseurs usaient des appellations "ridées à deux coups et à trois coups", chaque coup désignant un mouvement spécifique de bras qui consiste en un balancé avant/arrière sur deux temps. Une ridée à deux coups est donc une ridée d'une durée de six temps, tandis que les ridées à trois coups ont une durée de huit temps.

     Dans le "Pays de Retz" la "MARAICHINE" était largement pratiquée entre le Marais breton et une ligne reliant Pornic au lac de Grand Lieu.

     Certaines danses sont issues de l'enseignement militaire : à l'est de la Haute Bretagne on pratiquait le "Pas d'Eté" (ou "Pas français"). D'autres danses furent incorporées dans les premiers cercles celtiques (1920 à 1960) : "la "Grosse Marie" ou "Danse des bigorneaux" en Loire- Atlantique (on y voyait les deux partenaires se mettre dos à dos, se frotter les fesses puis faire la bascule, les hommes soulevant les femmes sur leurs dos), l'"Horsey"(avec la version française "Poney! Poney!" adaptée de "Horsey! Horsey!" très populaire aux Etats-Unis et en Angleterre), le "Spirou" ou la "Bombe atomique"(les danseurs soulevant le plus haut possible leur cavalière; cette danse avait été interdite suite à de nombreux accidents) pour l'Ille-et-Vilaine, ou bien encore la "Belle Anguille" ou "Marlborough s'en va-t en guerre" pour le Morbihan, les Côtes-d'Armor ou le nord de l'Ille-et-Vilaine.

     Pour la contredanse "Avant-Deux" une version voyait les danseurs en vis-à-vis faire passer sous leur jambe un bâton ou une longue broche (mais aussi chaises, bancs, tabourets, cordages,...) qu'ils tenaient à chaque extrémité : la "Dauvergne" dans le nord Ille-et-Vilaine ou "Calibourdaine" à Saint-Lyphard (44). Une version du "Rond de Penthièvre" autour de Loudéac voyait les danseurs, à un signal donné par les paroles de la chanson, faire dos à la ronde tout en continuant de danser. A Bazouges-la-Pérouse (35)  version "Tournez-vous"d'"Avant-Deux" durant laquelle les danseurs se retournaient. Plus élaborée la "Ronde des Lavandières" présentant une analogie avec le "Branle des Lavandières" du 16è siècle. Citons aussi le "Carillon" avec le "Carillon de Dunkerque" (frappés de mains et de pieds) très prisé en Pays rennais à la fin du 18è siècle. Le "Carillon" ou "Trois coups d'talon" : et frappez dans vos mains, Un demi-tour, écoutez la musique, Trois coups d'talon et frappez dans vos mains, Un demi tour, reprenez la polka (avec une pastourelle sous le bras droit élevé du danseur).

     L'air d' "An Hini Goz" bien connu en Basse-Bretagne comme support de gavotte et de bal dans la région de la Basse-Cornouaille, était plus connu en Haute-Bretagne et tout particulièrement en Côtes-d'Armor gallèses sous le nom de "A la nigousse". C'était le support de la contredanse "la Périgourdine" dans l'extrême est du Mené. Sur le secteur de Collinée (22) les appellations "Contredanse croisée ou traversée" se différenciaient de la "Contredanse" ou de l'"Avant-Deux". On l'appelle depuis "Kerrouézée" avec l'air "Ah messieurs dames ça y est!" ou "Et puis madame ça y est!"

     LA DANSE et l'EGLISE : de nombreux musiciens étaient "interdits d'entrée" dans l'église lors des mariages. Certains d'entre eux ont connu l'excommunication, parfois même plusieurs fois au cours de leur vie. C'est le cas d'un musicien d'Irodouër (35) en raison de ses pratiques de sonneur de noce mais, surtout, en raison de sa grande audace à vouloir faire danser le dimanche après-midi. Il s'agit de Léon Gernigon, accordéoniste de routine, charretier, coiffeur et fossoyeur.

     En 1832 le maire d'Ercé-près-Liffré (35) rend compte au préfet du comportement du curé : "Monsieur le Préfet, le dimanche 29 juillet, nous avons célébré avec toute l'allégresse possible la fête commémorative de la glorieuse révolution de 1830 :

            un "INCIDENT" est venu plutôt égayer que contrarier notre amusement. Notre bon curé avait prolongé la durée des vespres par un chemin de croix extraordinaire : il avait prié et fait prier pour ceux qui allaient participer à une fête contraire à la morale et à la religion. Malgré toutes ces entraves et ces prédictions, à l'issue des vespres, la danse commença dans l'aire au devant de la mairie et de suite il y eut dix contredanses formées dont plusieurs à seize. Le son du violon attira aussi M. le Curé et il vint faire tapisserie avec un groupe de femmes et de curieux. Cette apparition ne fit aucune sensation. M. le curé rôdait et semblait tout hors de lui; personne n'y faisait grande attention. Cependant on remarqua qu'il avait du papier et qu'il écrivait au crayon : un curieux put même lire les noms de danseurs inscrits. On vint me prévenir de ce fait, alors je quittai le bal que j'avais ouvert moi-même et me rendis vers le curé, il n'était plus au cimetière, enfin je le rencontrais dans la rue. Je lui demandai par quel motif il venait de prendre les noms des danseurs... -je n'y tiens pas, dit le prêtre tout déconcerté, et il me remit le papier sur lequel il y avait inscrit beaucoup de femmes et de jeunes filles, partie à  l'encre et partie au crayon. Après avoir lu quelques noms, je ne pus retenir mon indignation, je déchirai le papier, en jetai les lambeaux dans la rue...."

     la "Drôle de guerre" de mai 1940 créa un décret interdisant les bals et la liberté de la danse. On craignait alors des opérations aériennes contre des civils. Dès août 1940, les Allemands interdisent en plus les "réunions et tous les cortèges et défilés". Ils restituent aux autorités françaises le 2 mai 1941 "l'organisation de foires annuelles, fêtes populaires et festivités analogues". Le bal populaire fut surtout interdit avec le Gouvernement de Vichy sur des bases morales, l'expiation de la défaite et le "fruit de l'esprit de jouissance issu des conquêtes du Front populaire" de 1936". A la Libération de 1944 ce sont les souffrances subies par les prisonniers de guerre, les déportés encore détenus en Allemagne et la poursuite des combats qui justifièrent l'interdiction des bals par le gouvernement du général de Gaulle. Un assouplissement eut lieu en janvier 1945 et l'autorisation revint avec une circulaire le 30 avril 1945. Des bals clandestins eurent cependant lieu sur le territoire pendant cette période 1940/45. Plus tard, en période COVID en 2022, des danseurs non vaccinés n'ayant l'accès aux salles publiques organisaient également leurs bals à l'écart et en confidentialité.

     Les instruments : Si le couple biniou-bombarde a été omniprésent en Basse-Cornouaille et en pays vannetais brittophone cette formation était absente du pays gallo à l'exception notoire de la région de Questembert et Muzillac et surtout de l'arrière-pays de Loudéac et du Mené. Partout ailleurs en Haute-Bretagne l'instrument est sans conteste le violon. Dans l'est de l'Ille-et-Vilaine et le nord de la Loire-Atlantique on trouve des joueurs d'accordéon diatonique dès la fin du 19è siècle. Mais l'accordéon diatonique ne s'est répandu qu'à partir des années 1900, voire 1930.

     Dans certaines régions la veuze, la vielle à roue ou la clarinette ont occupé une place plus importante que celle du couple biniou-bombarde ou du violon. Dans les pays paludier, métayer et briéron (44) il existait au moins dix-huit veuzous en activité entre 1870 et 1930. Du côté d'Argentré en 1892 on y trouvait aussi du cornet à piston. Il y eut aussi une mode d'accompagnement des musiciens avec un ensemble grosse caisse et cymbale dénommé "jâze".

     Parmi les violoneux on trouvait des "joueurs de routine" qui ont eu accès à leur instrument sans enseignement formalisé, par recherche personnelle et observation de leurs prédécesseurs. La plupart se sont "faits la main" en "menant les conscrits" de ferme en ferme avec fanions et cocardes "bon pour les filles", "bon pour le service" et le dimanche "fleurissement des filles" avec des danses.  D'autre part on trouve des joueurs de violon populaires initiés à l'écriture de la musique auprès des joueurs de clarinette ou de piston dans les fanfares et harmonies municipales. Ainsi la plupart d'entre eux s'accordaient comme les joueurs de violon de formation classique alors que les joueurs de routine se positionnaient sur une référence légèrement plus basse (fa-do-sol-ré au lieu de sol-ré-la-mi). Le service militaire long parfois de 3 ans a aussi constitué l'occasion de faire évoluer pratique et répertoires dansés.

     Chants et danses : gavotter, noter, chanter à répondre ou à répéter, répouner ou ripouner, danser au son du sabot, turlutter... Le "CHANT à REPONDRE" est usité partout en pays gallo sauf dans le nord et l'est de l'Ille-et-Vilaine et la quart nord-est des Côtes-d'Armor gallèses. Il est "spécifique au répertoire de branles". Le groupe de chanteurs répète chaque phrase musicale après qu'une personne ou un groupe de personnes l'eut chantée auparavant. Cette technique sert à la danse mais aussi à la marche, à table ou pour interpréter des complaintes. D'une façon générale les personnes qui répondaient répétaient le plus souvent les phrases A et B dans le cas d'une structure de chanson bipartite (A et B étant les deux phrases) ou A et C dans le cas de chansons tripartites. En Morbihan gallo cependant les répondants répètent la chanson dans son intégralité. On pouvait alors avoir deux cas de figures : après avoir chanté A, et le choeur de lui répondre A, soit le meneur chante B et C ensemble, les deux phrases étant reprises par l'assemblée, soit le choeur répète chaque phrase, B et C, une à une.On trouve des chansons "narratives" ou des "dizaines" ou "chansons à dix" (c'est en dix ans, Y a 'cor dix, d'après des chansons de "pilées menues" de Ploërmel.)

     Avec le "GAVOTTAGE" le chanteur a statut de sonneur.Il accompagne les contredanses et danses en couple. Le répertoire se compose de courts refrains parfois salaces, généralement de quatrains ou des distiques complétés d'onomatopées que les gavotteurs égrènent en s'accompagnant d'éléments rythmiques comme le tintement de pinces à feu, de couverts sur une bouteille, de coquillages frottés l'un contre l'autre ou le son d'un soulier ou d'un sabot sur une bassine retournée par exemple (chant au sabot).

    La "Fête de la Saint-Jean" : c'était la date où les ouvriers agricoles signifiaient à leur maître qu'ils allaient le quitter ou vice versa (ou plus précisément la Saint-Pierre qui se fête le dimanche suivant). Dans le bassin rennais aux terres riches on pouvait également s'engager à la Saint-Michel. Un valet pouvait se faire engager pour la saison estivale et changer de ferme pour le reste de l'année, soit faire "métive". La "fouée" (le feu en gallo) est toujours très répendue avec parfois les sonneries de bassin ou tirer la "chièv".En travers de bassines en airain positionnées sur leurs trépieds on place des tiges de joncs (Juncus effusus ou glomeratta). A chaque extrémité de la tige se positionne une personne. Tandis que la première assure le contact entre la tige et la bassine - sans toucher à la bassine - la seconde fait glisser lentement la tige entre ses doigts de manière à lui conférer une vibration qui se propage au métal et fait brinder la pêle, troubler et jaillir quelque peu l'eau de la bassine. Il sort de ce dispositif un son grave, continu, envoûtant, qui peut s'entendre de très loin.A la Saint-Jean il était d'usage de former une grande ronde pour chanter en choeur une chanson spécifique et de la faire progresser vers la gauche en simple pas de marche. On n'y dansait que rarement contrairement aux noces ou aux "parbates" (parebattes ou barbates en Ille-et-Vilaine), "Nicolaille" ou "Nicodailles" dans l'est des Côtes d'Armor gallèses ou bien encore "Rançon' à l'ouest de Redon : ce sont les réjouissances qui succédaient aux "batteries" de collecte de blé d'avant les moissonneuses-batteuses. Elles demandaient l'ensemble des bras disponibles alentour. Note AG : Les temps passent et leurs changements : si Acigné (35) en 1813 comptait 141 fermes occupant 526 agriculteurs il ne reste plus que 31 exploitations en 2014.

     Les "Ramaougeries d'pommé" : dans une vaste région d'Ille-et-Vilaine au nord de Rennes, entre Fougères au sud-est jusqu'à Dol au nord-ouest, il était d'usage aux mois de novembre et décembre de confectionner "pommé". C'est une confiture à base de pommes que l'on laisse réduire en la chauffant doucement pendant une soirée ou une nuit, voire parfois vingt-quatre-heures. Cette préparation nécessite d'être remuée constamment durant toute la cuisson. Il était d'usage d'inviter les voisins et la jeunesse pour venir aider à "ramaouger", chacun prenant son tour au "ribot" en bois. Pendant que le pommé cuisait l'assemblée mangeait, chantait et dansait. Si les cantons d'Evran et Bécherel connaissaient bien le "pommé" sa préparation ne suscitait pas l'organisation d'une veillée. Il ne requérait pas non plus vingt-quatre heures de cuisson, comme dans le canton d'Antrain, mais était préparé en quelques heures dans une marmite plus petite. Le travail pouvait être effectué plus rapidement mais on faisait en sorte de la faire durer pour le plaisir de danser. Nota : Acigné faisait son "pommé" de 1992 à 2012 à la ferme culturelle municipale de la "Motte" avec "Gallo-Tonic" de Liffré et le Club de l'"Amitié".

     Les "Buées": Il en était de même les soirs des grandes lessives (ou buées) qui se faisaient deux fois l'an, au printemps avant la semaine sainte et à l'automne. Adolphe ORAIN décrit à Servon-sur-Vilaine (35) la façon dont on mettait le chanvre et le lin à rouir, étape suivant l'égrainage : "lors de la récolte les gars et les filles du pays se réunissent pour aller dans les fermes s'offrir à porter le chanvre et le lin à rouir dans les rivières et dans les doués. Après cela a lieu un repas suivi de danse et de chanson."

     Les "Pileries de place" (ou foulerie de place) : pour aider le travail à refaire le sol des habitations en terre battue jusqu'en 1950 on organisait des "pileries". Après avoir sorti les meubles le sol était défoncé sur une épaisseur d'une dizaine de centimètres. On y apportait un mélange de terre glaise et de balle de foin (gâpâts) que l'on mouillait abondamment et que l'on étalait sur le sol. Les voisins préalablement prévenus étaient invités à venir danser sur le mélange jusqu'à ce qu'il durcisse. En pays brittophone on avait l'équivalent "zi nevez". La danse pratiquée est la "Pilée menue" très répandue au nord-est du Morbihan. Les Landes de Lanvaux forment la frontière entre les zones de pratique de l' "En dro" et de la "pilée menue". Avec la "pilée menue" les danseurs se disposent hommes et femmes alternés dans la ronde. Les hommes joignent leurs deux mains au niveau de leur ceinture, de manière à ce que leurs bras arrondis forment chacun une anse de panier en laissant un espace libre entre leur coude et leur corps. Les dames passent leurs bras dans cette anse et les laissent pendre. Il s'agit d'une ronde progressant peu, les danseurs répétant indéfiniment un pas étroit, proche du sol, sans mouvement ample et sans aucune élévation.

     Les "Assembiées" et fêtes communales : organisées par les paroisses ou les communes elles ont constitué des contextes de danse. Parmi les plus renommées citons la Saint-Nicolas à Montfort-sur-Meu (35), la "Montbran" en Pléboulle (22) le 14 septembre et la Saint-Mathurin à Moncontour (22). En marge des cérémonies religieuses on terminait la journée en dansant dans les cafés (ou en jouant aux palets et cartes) ou au cours de bals publics. Les dimanches après-midi de nombreuses guinguettes étaient situées entre Rennes et Saint-Aubin-du-Cormier(35).

     La Saint-Mathurin de Moncontour (22) fut l'un des plus grands rassemblements des Côtes-d'Armor si ce n'est de Bretagne, réunissant les populations rurales gallèses du Mené, de l'arrière-pays de Loudéac mais aussi de la Basse-Bretagne voisine. A la Pentecôte le bal était organisé sur l'esplanade du château des Granges. Un article de presse de 1837 cite : "Là, à la lueur des réverbères de la ville disposés avec art sur la longueur de la promenade et dans les massifs d'arbres qui en forment l'extrémité, des contredanses, des rondes, des galopées et des dérobées se succèdent depuis sept heures du soir jusqu'à neuf, au son des tambourins, des haut-bois et des biniou(x) venus du pays breton. Le bal ouvert par quatre-vingt danseurs, au moment de finir en comptait déjà de quatre à cinq cents". Dans cette région des Côtes-D'Armor gallèses on danse depuis le premier tiers du 19è siècle (1839) la "Dérobée bretonne" issue des "Monfarines" du Piémont d''Italie.La "Monfarine" a du faire souche quatre à cinq ans après la première campagne d'Italie en l'an III (1795). C'est la danse par excellence des cortèges de noces. Dans le Mené l'air était appelé les "forrières".Le succès de la "Dérobée" en Trégor s'explique partiellement par la conformité lointaine qu'elle présentait avec le bal trégorrois. La "Dérobée", danse de cortège, comprenait pour partie une file d'hommes et une file de femmes qui décrivent des courbes symétriques. Viennent ensuite une suite de figures.Précédemment un élément du jeu consistait à voir un cavalier en surnombre "dérober" la cavalière d'un des hommes du cortège. Dans un premier temps il est interdit de "dérober" deux fois la même danseuse puis de n'autoriser le dérober de cavalière qu'à un certain moment de la danse. Finalement les autorités on finit par interdire la possibilité de dérober dans les années 1850 car cela engendrait des rixes.L'affiche du bal champêtre de saint-Brieuc en date du jeudi 23 et vendredi 24 juin 1842 interdisait certes de fumer mais surtout: "la Dérobée" est supprimée. On dansera la Ronde, la Chaîne et le Balancé." La "dérobée" pouvait aussi s'appeler le "chapelet" du nom de la chanson support de danse.

     Merci à Marc Clérivet pour toutes ces recherches, aux collecteurs et informateurs, passionnés par ces danses de terroir. Il ne nous reste plus désormais qu'à compléter ces informations en regardant le déroulement de ces danses sur internet, en achetant des DVD et livrets/CD aux Fédérations "Kendalc'h" et "Warl'Leur", à la "Coop Breizh" ou Yves LEBLANC; en participant à des cours et des stages. Et surtout en allant vibrer dans l'ambiance festive d'un fest-noz ou d'un fest-deiz.

Alain GOUAILLIER Juillet 2014